L'abbaye de Grandpré

L'acte fondateur

Acte fondateur

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Origines lointaines et fondation

« L'An de l'Incarnation du Seigneur 1231, en la fête de l'Assomption de la Sainte Vierge, a été fondée l'abbaye de Grandpré, par Marguerite, Comtesse de Vienne, au moyen des biens qu'avait établi dans ce but. son frère Philippe, Comte de Namur, qui, ayant pris la croix contre les hérétiques albigeois, mourut en chemin et fut enterré à Vaucelles ; à cette abbaye, douze moines avec un abbé |13] furent envoyés de Villers, par l'Abbé Guillaume, le 11 août de l'année 1231; comme ils approchaient de Namur, le clergé de la ville, avec le peuple, alla à leur rencontre en procession, il les reçut avec une grande ferveur, et les conduisit au lieu de Grandpré. » C'est dans ces termes, ou en termes équivalents, qu'est signifié, plusieurs fois, dans les archives de Grandpré, l'établissement du nouveau monastère. L'abbaye de Villers-en-Brabant avait été fondée par saint Bernard en 1146: « sans avoir la fécondité de l'abbaye-mère (Clairvaux), elle établira, à huit années de distance, deux colonies formées de quelques uns de ses religieux d'élite : à Grandpré, dans le Namurois, et à Lieu Saint-Bernard, au Nord d'Anvers » (1). Deux abbés de Villers, l'abbé Conrad (de 1209 à 1214), et l'abbé Guillaume, de Bruxelles (de 1221 à 1237), se distinguèrent par leur zèle religieux et leur activité économique (2). « A cette époque, la terre constitue l'unique source de richesse ; dans un système fermé, à base agricole, il faut de vastes cultures... Si, dans tous les pays, les cisterciens ont groupé, autour de leurs abbayes, des territoires s'étendant au loin, c'est pour deux raisons principales : la prémière, c'est que ces abbayes étaient fort peuplées aux 12e et 13e siècle (100 moines et 300 convers à Villers ; la seconde, c'est que la réforme de Citeaux avait remis en honneur le travail manuel des moines » (3).

 

L'abbaye de Villers possédait, dans le Condroz Namurois, trois granges : à Grandpré (Mozet -Faulx), à Tronquoy (Wierde) et à Borsu (Gèsves), et de vastes étendues de terre entre la Meuse, Dinant et Huy (4) ; vraisemblablement, ces donations avaient été faites par un ami de l'abbé Charles de Villers (1197-1209). sans doute avoué et prédécesseur de Robert de Gesves. (5)

C'est dans des emplacements pareils, dans une forêt, tout au moins dans un endroit propice à la solitude et au recueillement (a frequentia populi semoto), que les cisterciens s'attachent à mettre pied (6).

Les terres constituaient les principales richesses de la grange et de l'abbaye dont elle dépendait... Dans son sens le plus général, le mot « grangia » signifie tout bâtiment destiné à l'exploitation agricole... Il s'applique donc à l'ensemble des bâtisses, greniers, etc., où résident les fonctionnaires chargés de l'administration et les agriculteurs, où sont prestées les redevances... Extérieurement, les granges cisterciennes offraient beaucoup de ressemblance avec les abbayes... La présence des instruments aratoires était le seul signe auquel on pouvait, au premier coup d'ceil, les distinguer.

A la grange, se voyaient un oratoire, un chaufîoir, un dortoir, un réfectoire, un chapitre, etc... Les bâtiments, qui servaient à remiser les récoltes, avaient un caractère monumental (en moyenne 50 m. de longueur, 20 m. de largeur et de hauteur)...

La grange ne servait de demeure à aucun moine. Abbaye au petit pied, elle n'était habitée que par des convers et des ouvriers libres... (souvent) gens de basse condition, parfois des serfs qui acquéraient la liberté, en entrant au monastère... (ces frères convers) avaient à se perfectionner chaque jour en leur tâche ardue, accomplie sous la haute direction du cellerier, dans les granges ou aux ateliers du monastère. On rencontrait... des frères corroyeurs, cordonniers, tisserands, meuniers, boulangers, comme des frères pasteurs, laboureurs, etc... Les frères promettaient à l'abbé obéissance jusqu'à la mort. Nos « Vitae » signalent de saints convers... Des ouvriers libres aidaient les religieux au monastère et aux granges... On les appelait les « famuli »... Tout ce personnel dépendait d'un << grangiarius » ou « magister grangie », convers lui aussi... il a droit à l'obéissance de tous les frères résidant dans la grange ; il surveille leurs travaux, il règle les achats de terre et les échange, il paie, surtout, au nom de l'abbaye, des pensions viagères ; il apparaît comme témoin dans divers actes. Bref, sous la surveillance de l'Abbé, du cellerier et du chapitre, c'est-à-dire, de l'administration centrale, il concentre en ses mains toutes les fonctions économiques » (7).

« Les terres des granges consistaient en forêts, prairies et cultures... Une partie de ces terres était exploitée par le propriétaire de la grange, l'autre par les tenanciers ; par ailleurs, des terres étaient accensées à l'abbaye par des tiers, des nobles en particulier : ou accensées (affermées) par l'abbaye, à de petits cultivateurs, pour la plupart (8). C'est autour de ces granges qu'affluèrent les donations de terres, de cens, encore que les abbayes n'hésitèrent pas à acheter des immeubles qui devaient leur être profitables.

 

Le 6 décembre 1209, Hugues, doyen de Saint-Aubain et chanoine de Notre-Dame à Namur, Godfroid Devile, Evrard d'Emines, et d'autres, confirmèrent, à l'abbaye de Villers, la possession de toute la terre de Gilbert de Wierde, « in perpetuum, et comme alleu » (9).

En juin 1210, Simon de Mozet, homme libre, et son fils Henry donnèrent à Villers tous leurs alleux de Mozet, Maizeroule et Ster : terres, forêts, eaux, prés, pâturages, etc., et deux personnes d'une « familia » : Marie de Faulx et sa fille Adam ; cette donation fut confirmée et précisée en 1221. (10)

En 1220, Ermengarde, fille de Godfroid de Wierde, et sa fille Ida, autorisée par son tuteur Conon de Forrière, vendirent à l'abbaye de Villers, ce qu'elles possédaient dans l'alleu de Wierde, entre Montigny et Ockinsart (11).

En 1221, Alide, chanoinesse de Sainte-Begge, à Andenne, fille de Guillaume de Mozet, céda aussi à Villers. la part d'alleux qu'elle avait à Mozet, Ster et Faulx (12).

En octobre 1224, Hugues, évêque de Liège, attesta que Guillaume de Mozet, chevalier, avait vendu à l'abbé et au couvent de Villers, toute la forêt qui touchait à la grange de Grandpré, et qu'il tenait du seigneur Henri d'Argenteau et de son fils Renard, à cette date encore mineur d'âge ; ce bien devait être allodial ; en attendant la majorité du dit Renard, Guillaume de Mozet mit en mains de l'abbé de Villers soixante bonniers de terre, de son alleu de Mozet, quatre-vingt bonniers de sa forêt située entre la Meuse et Mozet, dix charretées de foin de ses prairies à Mozet, quarante sols de blés de cens à Mozet, tout ce qu'il possédait à Maizeroule, vingt-cinq bonniers allodiaux près Bovent ?, huit bonniers de terre arable au même endroit, cinq bonniers de bois, vingt chapons, quarante-deux deniers de cens, une charretée de foin près de Landenne (13). Ces pièces de terrains étaient situées dans le bois d'Arche, entre Corioule et Ster, à Mozet (Faussurchamps, Ange de Vile, etc.). à Faulx (Ramsée), Maizeroule, etc... Le lundi de Pâques 1229, les tractations entre l'abbaye de Villers et Guillaume de Mozet furent confirmées par Henri et Renard d'Argenteau (14).

En septembre 1229, le domaine de Villers s'agrandit encore par l'achat fait, par l'abbé Guillaume, d'une terre appelée « Aulnoit », à la limite S.-E. des communes actuelles de Faulx-les-Tombes et Gesves ; cette pièce appartenait au chapitre de Huy, et c'est sur elle que s'élèvera bientôt la nouvelle abbaye de Grandpré. En la même année, Godefroid de Wez fit don au monastère brabançon de tout ce qu'il possédait à Wez et de tout ce qui devait lui revenir « jure hereditario » en terres arables, en prés, bois, cens et masuirs. (15)
D'autres acquêts, d'autres donations en cens et en rentes favorisèrent la puissante institution de Villers-la-Ville; ainsi nantie de censés aux Tombes (Trou Renard), à fausse, à Maizeroule, à Spase, à Borsu, au Sart-Mathelet, de biens importants au Trieu d'Avillon-Fays, aux Loges, à Walhay, à Namur (le refuge), etc..., mesurant l'étendue des granges de Grandpré, du Tronquoy, de Wierde, l'abbaye de Villers voyait venir le moment de réaliser son projet de construction, dans le Condroz, d'un centre à la fois religieux et économique, pour sa prospérité à elle, et pour le bien des habitants de la région.

 

Philippe, Comte et Marquis de Namur, avait conçu le dessein de construire un établissement monastique dans ses Etats de Namur ; il avait laissé dans ce but, à sa sœur Marguerite, Comtesse de Vienne, épouse de Henri de Vianden, des biens importants. (16)

 

La Comtesse Marguerite, d'accord avec son époux, mit tout en œuvre pour exécuter les volontés du malheureux Comte Philippe. Le 1er août 1231, toutes les transactions étaient terminées, notamment un échange de terres avec l'abbaye de Villers (17) ; et l'acte de cession des biens de Philippe, en faveur de Villers-Grandpré, fut rédigé le même jour : « ...Henri, Marquis de Namur et Comte de Vienne, et Marguerite, Marquise et Comtesse, son épouse... faisons savoir que, comme, par échange, nous avons reçu de l'abbé et du couvent de Villers et l'Ordre Cistercien, du diocèse de Liège, toutes les possessions que la dite abbaye de Villers avait à Grandpré, à Tronquoy et à Borsu, avec leurs appendices, et ce qu'elle avait de ce côté de la Meuse, entre Dinant Huy et la Meuse. Nous avons transporté les dites possessions, totalement, librement et absolument, en alleu perpétuel et libre, à l'abbaye de Grandpré que nous fondons, selon le legs de notre très cher prédécesseui et frère Philippe, de bonne mémoire, autrefois Marquis de Namur pour les âmes de tous nos prédécesseurs et les nôtres » (18).

Ainsi, la donation du domaine et des revenus étant réalisée, l'établissement de l'abbaye de Grandpré pouvait être envisagé.

Le 15 août 1231, les moines, escortés par le peuple chrétien de Namur, arrivèrent à Grandpré. Le 608e monastère cistercien d'hommes était fondé, sous le vocable de Notre-Dame de Grandpré.

En février 1232, Ferrand, comte de Flandre et de Hainaut, et sa femme Jeanne, confirmèrent la fondation de l'abbaye, de même que Baudouin, empereur de Constantinople et comte de Namur, qui, ayant besoin d'argent pour son expédition en Orient, vendit aux religieux de Grandpré cent et cinquante bonniers de bois (19).

Grâce à la ferveur des princes et des nobles, au concours généreux du peuple, à l'ascendant qu'exerçait l'abbé Jean, le monastère fut rapidement bâti ; un an après l'arrivée des religieux, Jean d'Aps, évêque de Liège, consacrait l'église de l'abbaye (20).

 

Fondation de l'abbaye de Grandpré (Traduction du texte latin)

Extrait de certain roulleau en pargement reposant en la tresorie des tittres au Chasteau de Namur intitulé copie touchant l'Abbaye de Villers et la fondation de l'abbaye de Grandpreit auquel roulleau se trouve entre aultres ce qui s'ensuit...Au nom de la sainte et indivise Trinité, Henri, marquis de Namur et comte de Vienne et Marguerite, marquise et comtesse, son épouse, à tous les fidèles du Christ, tant présents que futurs qui liront le présent document, salut éternel dans le Seigneur.Nous voulons porter à votre connaissance à tous que, sous forme d'échange en bien-fonds et troupeaux, nous avons conféré aux frères de Villers de l'ordre cistercien du diocèse de Liège quatre cents bonniers de forêt à posséder librement en alleu perpétuel, ne nous réservant à nous et à nos héritiers aucun droit sur ceux-ci tant présentement que dans l'avenir, à l'exception de la chasse et des aires des oiseaux de proie. Si, en fait, les chiens des frères susmentionnés gardant leur bien ou leurs troupeaux mordaient ou tuaient par hasard un cerf ou une autre bête, nous ne pourrions en prendre prétexte vis-à-vis de ces frères pour desservir ou changer à tort leurs intérêts.Cependant de ces susdits quatre cents bonniers nous en avons assigné soixante et onze bonniers moins un journal près d'Os tin contre la grange de ces frères ; quant au reste, c'est-à-dire trois cent vingt neuf bonniers et un journal dans notre bois de la Marlagne qu 'on appelle Ofay.Nous tenons à décharger ces possessions en faveur des dits frères de tout droit tant de la part de ceux, qui tiennent une manse que d'autres et à les défendre fidèlement en toute sûreté chaque fois que nécessaire contre tout chicaneur.Ces mêmes frères posséderont ces biens d'autant plus libre­ment qu 'ils auront l'entière possibilité de défricher, de vendre, d'échanger et quelle qu'en soit la manière, selon qu'il leur conviendra au bon plaisir de leur volonté. Nous accordons encore aux frères susdits le libre parcours à travers notre bois de la Marlagne pour tout ce qui leur sera né­cessaire et, de la même manière, nos hommes pourront passer à travers leur bois.Il faut aussi savoir que si les porcs qui paissent dans notre bois étaient trouvés parcourant dans celui des frères [...] qu'ils les expulsent tranquillement mais ils ne pourront les saisir si ce n'est que si d'aventure ils y avaient été introduits et maintenus intentionnellement sous la garde du porcher. Qu 'il en aille de même pour les porcs des frères qui seraient dans notre bois. Il faut encore savoir que nous avons échangé les dites posses­sions avec ces frères contre des biens qu 'ils tenaient au-delà de la Meuse près de Tronquoy, Borsu et Grandpré avec leurs dé­pendances et contre tout ce qu 'ils avaient entre Dînant et Huy et la Meuse. Tout ce qui constitue notre part dans cet échange nous l'avons transféré à l'usage de l'abbaye de Grandpré pour le salut de l'âme de notre très cher prédécesseur et frère Phi­lippe, marquis de Namur qui, divinement inspiré, a ordonné dans son dernier testament de construire une abbaye, mais aussi pour le salut de nos âmes et de celles de tous nos prédé­cesseurs.Par conséquent, pour que ces choses restent ratifiées et inébranlables, nous avons confirmé ce document de la garantie de nos sceaux.

Fait en l'an du Seigneur mil CCXXX et un au mois d'août. Collatiofaicte audit roleau et trouve le présent extrait par moij. Cest extraict a este collatione aut tittre originel exhibe par le procureur L'Escuyer et trouve concorder de mot a aultre par nous commissaire et adjoint soubsigne le XX de juillet 1612 auquel titre estait appendans deux seaux. Le premier imprime d'une effigie d'ung home a cheval avecq l'espee a la main, le deuxiesme d'une effigie d'une personage avecq une robe et une oyseaux aupoind, estant lesdict seaux en cire verde et appendans en double de parchemin et au doz dudict tittre (qui est escript de tre anchienne) est escript ung cha-ractere plus noveau de quoi sensuit. Confirmation de Henri, comte de Namur, et de Marguerite, son épouse, de trois cent vingt neuf bonniers et d'un journal des bois de la Marlagne qu 'on appelle Ofay et septante et un bonniers moins un journal près d'Ostin qui nous ont été conférés par lui en vue de la fon­dation du monastère de Grandpré. De même du don de ces biens.
L'an mil deux cent trente et un.
En dessous il était écrit en lettres majuscules : Bois de la Marlagne. Première charte.

 

(1) de Moreau : L'abbaye de Villers-en-Brabant, pp. 3 à 5.
(2) Ibid., pp. 52 et 57.
(3) Ibid., p. 18.
(4) Archives de Grandpré, passim.
(5) Baron Houtart : Le village de Gesves durant huit siècles, 1000-1800, dans A. S. A. N., T. XLI, p. 161, et T. XLIII, p. 1. — Dans des notes manuscrites, M. Félix Rousseau écrit : « Un noble (nobilis aliquis), ami de l'abbé Charles de Villers, fit don à ce monastère de biens allodiaux situés à Wierde et dans les environs... Ce noble est, à n'en pas douter, Gillebert de Wierde, mort avant 1210, qui laissa à l'abbaye brabançonne, une bonne partie de sa succession et,de celles de ses deux frères, Bernard et Gode-froid de Groingnelet (lieu-dit de Wierde) » (Monumenta Germaniae His-torica, XXV, p. 224).
(6) de Moreau : o. c., p. 139.
(7) Ibidem, passim, pp. 170-192.
(8) Ibidem, p. 181.
(9) A. E. N. Liasse II, Grandpré.
(10) C. G. P. I, 2.
(11) A. E. N. Liasse 11, Grandpré, et Roland : L'ancienne famille de Faulx.
(12) C. G. P. I. in. n

(13) C. G. P. I, 15.
(14) C. G. P. I, 6.
(15) C. G. P. f 49; C. G. P., I, 49.
(16) A. E. N., Liasses 1 et 3, Grandpré.
(17) Henri -et Marguerite de Namur échangèrent les biens de Villers à Grand-pré, Tronquoy et Borsu, ceux de la région de Dînant, Huy et la Meuse, contre 400 bonniers de bois qu'ils avaient dans leur forêt de Marlagne (archives de Grandpré). C'est à cet échange que se réfère l'acte du 1" août 1231.
(18) A. E. N. Grandpré. - L'anniversaire de Philippe de Namur était célébré à l'église de Grandpré, le 29 octobre de chaque année.
(19) Caillot, o. c., T. V, p. 406.
(20) La fête de l'Adoration Perpétuelle fut célébrée le 27 juillet de chaque année.

Prise, par les défrichements, sur l'immense forêt d'Arche, une grande prairie qui, pendant six siècles, fut un haut-lieu de chrétienté... Ce grand pré, qui connut des moines, arrivés de Villers-en-Brabant poursuivre le travail puissant des bâtisseurs de cathédrales, d'abbayes pendant le Moyen-Age... Grandpré, qui vit sur son gazon léger, vert émeraude, s'élever, telle une pierre précieuse, un joyau de belle eau, la nouvelle abbaye qu'à voulue Philippe, Comte de Namur.

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